Total - Elf
Boycott et mobilisations
Les appels au boycott de Total-Elf ont suscité des interrogations:
manifester, faire grève, organiser un meeting, ce sont des
modes d'action connus, mais appeler les consommateurs à boycotter
a-t-il un sens et une efficacité ?
A l'époque de l'apartheid, les appels au boycott des oranges
Outspan où (déjà) la firme Total contournait les sanctions
réclamées par la résistance sud-africaine eurent un écho
limité en France, où le boycott est une forme d'action rare.
Et la jurisprudence française est là pour rappeler aux associations
que leurs appels au boycott peuvent les faire condamner à
des dommages et intérêts élevés.
Plusieurs campagnes de boycott ont eu une certaine ampleur
en Europe. La compagnie anglo-hollandaise Shell en a été la
cible par deux fois. En 1995, l'accusant de vouloir se débarrasser
d'une plate-forme pétrolière contenant des polluants en l'immergeant
dans la mer du Nord plutôt que de la démanteler à terre, Greenpeace
lança une campagne de boycott, très suivie en Allemagne et
en Grande-Bretagne. Shell perdit jusqu'à 50 % de sa clientèle
dans ces pays, et céda.
La même compagnie a été boycottée en 1997 pour ses liens avec
la junte militaire du Nigeria et la répression massive organisée
contre le peuple ogoni, dont les terres regorgent du pétrole
exploité par Shell. Les protestations des populations sur
place étaient relayées par les ONG européennes. Le boycott
permit de sensibiliser l'opinion, et d'exercer une pression
sur la politique des gouvernements britannique et hollandais
qui soutenaient la junte.
En Belgique, un collectif d'ONG, "Action Petrol en Birmanie",
a lancé depuis mai 1999 un boycott de TotalFina contre son
soutien à la junte birmane (Fina était la principale compagnie
belge, avant d'être rachetée par Total). La CISL s'est jointe
à la campagne, le BIT ayant condamné le recours massif au
travail forcé sur le chantier du gazoduc de TotalFina allant
de Birmanie en Thaïlande.
Bien sûr, le boycott n'est pas une action miracle pour faire
chuter le capitalisme... Mais il s'attaque à l'image de marque
des compagnies qui dépensent des milliards de publicité pour
attirer les clients. Avant le naufrage de l'Erika, Total avait
engagé une grande campagne de pub (axée sur la protection
de l'environnement!) qui lui avait fait gagner entre 10 et
20 % de clients. Pour faire monter les cours à la bourse,
il faut attirer la clientèle Devenue la seule compagnie française,
elle est exposée plus encore, et le gouvernement n'est pas
indifférent aux résultats de "sa" compagnie. Depuis l'Erika,
Total reste silencieux sur la baisse de ses ventes.
On peut bien sûr rêver d'un boycott de toutes les compagnies
pétrolières qui sévissent dans le monde, et appeler la population
à circuler en vélo et en rollers... Mais en ce moment, c'est
bien Total-Elf la cible, comme hier Shell, et demain une autre.
Le boycott servira d'appui à la campagne qui doit être menée,
par tous les moyens, pour des objectifs immédiats: faire payer
les pollueurs, contraindre le gouvernement à légiférer contre
la déréglementation des transports maritimes, populariser
la résistance des peuples victimes de dictatures et de guerres
alimentées par la rente pétrolière. Cela ne nous empêche nullement
de revendiquer un contrôle social et public des activités
et du capital de Total-Elf par la collectivité. Ni d'exiger
des lois contraignantes sur le transport, l'environnement,
la responsabilité pénale, la corruption, les licenciements.
Les appels au boycott sont venus d'associations militantes
ou professionnelles de la côte Atlantique, et peu des organisations
nationales (LCR, JCR, Alternatifs, les Amis de la Terre, Attac,
Info-Birmanie). Les Verts l'ont fait au début pour se sortir
de l'embarras dans lequel les avait plongés la politique de
Voynet, mais n'ont pas donné suite ; leurs députés, comme
ceux du PS ou du PC, n'ont pas voulu signer d'appel au boycott.
Le 5 février à Nantes a montré la force et la radicalité de
la protestation populaire. Ce mouvement ne va pas s'arrêter
là. Les révélations sur la toxicité de la cargaison de l'Erika
renforcent la révolte que suscite cette catastrophe. Alors
tout en boycottant Total-Elf, organisons une action prolongée
pour contraindre le gouvernement à prendre des mesures d'urgence.
Alain Mathieu
Alain Mathieu (Rouge
10/02/00)
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